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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

disait en rêvant au coin du feu dans l’antique salle à manger de Jocelyn’s Rock en se tirant les moustaches tout en fixant les tisons. Le jeune homme aimait follement Laura, mais il ne goûtait pas beaucoup la société de Dunbar. Le millionnaire était très-courtois, très-affable ; mais il y avait dans sa politesse compassée, son sourire étudié, ses paroles de convention, quelque chose de vague et d’indéfinissable qui produisait sur l’affabilité de sir Philip le même effet glacial qu’une cave froide sur le porto des bons crus. L’arôme subtil disparaissait sous cette déplorable influence.

— Il est son père, et je m’agenouillerais volontiers comme les petits garçons des rues pour lui cirer ses bottes, s’il le voulait, parce qu’il est son père, — se disait le jeune homme, — et cependant, je ne sais pourquoi, je ne puis me faire à lui.

Non ; entre le banquier anglo-indien et sir Philip, il n’existait pas de sympathie. Ils n’avaient pas d’idées communes, ou, pour mieux dire, Dunbar ne révélait aucun goût qui fût partagé par le jeune homme dont la plus chère espérance était de devenir son gendre. Le jeune et loyal gentilhomme tenta en vain de se le concilier ou de franchir l’obstacle des relations cérémonieuses pour pénétrer dans le domaine des rapports affables.

Mais quand sir Philip, après beaucoup d’hésitation et de réflexion, se présenta un matin dans le salon à tapisserie du banquier et ouvrit son cœur à ce gentleman, tout en s’arrêtant de temps en temps pour contempler le nom du chapelier imprimé au fond de son chapeau, comme si ce nom eût été un symbole magique d’où il tirait certains augures qui réglaient la marche de son discours, Dunbar fut excessivement gracieux.

M. Dunbar daignera-t-il faire l’honneur à sir Philip de confier aux soins de celui-ci le bonheur de sa fille ?