Page:Braddon - Henry Dunbar, 1869, tome I.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
232
HENRY DUNBAR

La vaste pelouse était inondée par cette pluie perpétuelle. Les gouttes d’eau tombaient sans relâche des basses branches des énormes cèdres noirs du Liban, et roulaient sur les feuilles brillantes des lauriers ; les rhododendrons, les bruyères blanches, les arbousiers rougeâtres, tout était obscurci par cette pluie désolante.

L’eau dégouttait de la bouche des dragons fantastiques rangés symétriquement le long de la gouttière du toit du château ; elle découlait de chaque pierre en saillie, de chaque about, des rebords des fenêtres, du porche, des pignons, et du lierre des murs. La pluie était partout, et le crépitement incessant des gouttes qui venaient battre contre les vitres faisait un bruit étrange, presque aussi désagréable à entendre que les gémissements perpétuels du vent qui ressemblaient à des voix humaines et imitaient tantôt un murmure faible, plaintif et prolongé, et tantôt les cris aigus et perçants d’une femme acariâtre en colère.

Laura poussa un long soupir de mécontentement en s’asseyant à sa fenêtre favorite et en regardant les arbres d’où l’eau ruisselait sur la pelouse.

Qu’on se souvienne que Laura était une riche héritière et une enfant gâtée ; le monde avait été pour elle si clément et si doux, que peut-être n’endurait-elle pas une calamité ou une contradiction avec autant de bonne grâce qu’elle aurait pu le faire si elle eût été un peu plus rapprochée de la perfection. Elle était presque encore une enfant, ayant dans l’avenir inconnu la confiance aveugle et l’espoir ignorant d’une enfant. Elle était choyée, dorlotée, et elle s’attendait à ce que la vie fût pour elle une pelouse bien unie.

— Quelle affreuse matinée ! — s’écria Mlle Dunbar ; — avez-vous jamais vu rien de pareil, Élisabeth ?

Mme Madden allait et venait à côté d’elle, arrangeant le déjeuner de sa jeune maîtresse sur une petite table