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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

férence en les aidant à descendre de voiture avec une politesse machinale qui était presque malhonnête.

Les deux premières voitures s’éloignèrent de la porte du cimetière et la boue de la grande route vint éclabousser les vitres de la portière aussitôt que les roues eurent été mises en mouvement.

La troisième voiture était pour Dunbar, et la foule attendit pour le voir monter.

Il avait le pied sur le marchepied et la main sur la portière quand le Major s’approcha de lui et le toucha légèrement à l’épaule.

Les spectateurs reculèrent d’étonnement et d’indignation.

Comment cet homme en guenilles, avec des bottes éculées et un collet d’habit dont la fourrure ressemblait à la robe d’un chien qui fait peau neuve, comment cet homme effronté au possible osait-il, lui qui avait l’air d’un vagabond, poser ses doigts sales sur l’épaule sacrée de Henry Dunbar, chef de la maison de banque Dunbar, Dunbar et Balderby de Saint-Gundolph Lane, dans la Cité ?

Le millionnaire se retourna et devint livide à la vue de cet étranger si mesquinement vêtu. Si les morts étaient sortis de leurs tombes dans le cimetière à côté et s’étaient approchés de lui couverts de leurs linceuls, il n’eût pas pâli davantage. Mais il ne poussa aucune exclamation d’horreur ou de surprise. Il se recula seulement avec hauteur pour éviter le contact du Major, comme s’il eût craint que le bout de ses doigts sales ne lui communiquât la peste.

— Puis-je savoir le motif de cette importunité, monsieur ? — demanda le banquier avec une froide répugnance en regardant l’intrus bien en face.

Il y avait quelque chose de si résolu, de si provoquant dans le regard du millionnaire, que ce fut un tour