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HENRY DUNBAR

Les yeux du Major furent presque éblouis par l’éclat de ce charmant salon. Cet homme était un réprouvé, mais il avait commencé la vie en gentleman. Il se souvenait d’avoir habité un salon pareil à celui-ci, il y avait longtemps, avant d’avoir franchi le sombre gouffre creusé par quarante années mal employées. La vue de cette pièce lui remit en mémoire un joli salon doucement éclairé, un vieillard assis dans un fauteuil à grand dossier, une joyeuse mère de famille courbée sur son ouvrage, deux jolies jeunes filles, un gros chien fidèle étendu devant le foyer, et enfin un jeune homme en vacances, bâillant sur un journal de sport, ennuyé à mourir des joies innocentes du foyer, fatigué de la société de deux sœurs aimables, de l’amour de sa mère, et désirant retourner vers les bruyantes réunions d’autrefois, les orgies de l’ivresse, le jeu, les courses, l’extravagance et la débauche.

Le Major soupira profondément en parcourant la chambre du regard. Mais l’ombre mélancolique répandue sur sa figure se changea en un sourire grimaçant, lorsqu’en détournant ses regards des murs à tentures, de la fenêtre à rideaux, et du grand vase de Chine qui se dressait sur une table sculptée, plein de fleurs de serre répandant dans la chambre un parfum de jasmin et de fleurs d’amandier, il les fixa sur Dunbar.

— C’est confortable, — dit le Major Vernon, — oui, pour ne pas dire plus, c’est très-confortable. Et avec un compte courant d’un demi-million ou à peu près chez son banquier, ou dans une banque à soi… ce qui vaut mieux peut-être… on n’est pas déjà si malheureux, n’est-ce pas, monsieur Dunbar ?

— Asseyez-vous et mangez un de ces oiseaux, dit le banquier ; — nous causerons tout à l’heure.

Le Major obéit à son ami ; il déroula trois ou quatre mètres d’étoffe de laine sale qui enveloppaient son cou barbu, renversa le collet de son habit, approcha une