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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

— Si je désire que tu ailles dans l’Inde ? mais pas du tout, mon cher enfant, à moins que ton ambition ne t’y pousse. Souviens-toi que tu es fils unique. Rien ne te force à quitter Shorncliffe. Tu hériteras d’une bonne clientèle et d’une belle fortune. Je croyais que tu étais ambitieux et que cette petite ville était un cercle trop étroit pour ton ambition, sans cela je n’aurais jamais songé à cet emploi dans l’Inde.

— Et vous ne seriez pas fâché de me voir rester en Angleterre ?…

— Fâché ! oh ! non, j’en serais bien aise. Penses-tu qu’un homme qui n’a qu’un fils, beau, intelligent, à l’esprit élevé, dont la présence égaye sa vieille et triste maison… penses-tu qu’un pareil père désire se débarrasser de son enfant ? Si tu crois cela, tu n’as qu’une bien faible idée de l’affection paternelle.

— Alors je refuserai l’emploi, père.

— Que Dieu te bénisse, mon enfant ! — s’écria l’avoué.

La lettre à lord Herriston fut écrite dans la soirée, et Arthur se résigna à rester perpétuellement dans cette paisible petite ville, à un mille de laquelle les tours de Jocelyn’s Rock surplombaient la haute falaise contre la base de laquelle venaient battre les eaux tumultueuses de l’Avon.

Dunbar avait donné tous les ordres nécessaires pour la réception de son ami à tenue râpée.

Le Major fut aussitôt conduit vers le salon tapissé où le banquier était encore assis à la table du dîner. Il s’était fait servir sur une table ronde auprès du feu et la pièce était un vrai modèle de confortable et de luxe au moment où le Major Vernon y pénétra, sortant de la nuit opaque et brumeuse et de l’avenue dépouillée de feuilles où les troncs des ormes dénudés semblaient de gigantesques fantômes qui le guettaient dans l’obscurité.