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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

mes pareils étaient envoyés de préférence… Au bout de ce temps, ma conduite ayant satisfait mes geôliers, le gouverneur me fit comparaître devant lui, me donna de bons certificats, et j’entrai en qualité de commis dans une maison de commerce. Mais une fièvre me dévorait ; nuit et jour je ne rêvais qu’à une chose : à la possibilité de m’enfuir. J’y réussis… comment, c’est une trop longue histoire pour te la raconter maintenant… et je revins en Angleterre. J’étais libre. Libre, ai-je dit, Madge, je le croyais, du moins ; mais le monde me parla bientôt autrement. J’étais un forçat, un gibier de galères ; et je n’avais plus le droit de lever la tête parmi les honnêtes gens. Je ne pus endurer cela, Madge, ma fille. Peut-être un homme meilleur eût-il persévéré en dépit de tout et fini par imposer silence aux préjugés du monde. Mais moi je ne pus pas. Je succombai à l’épreuve et je m’abaissai de plus en plus, Et toutes les disgrâces qui m’ont accablé… tous les malheurs que j’ai supportés… tous les crimes que j’ai commis… je les impute au même homme.

Margaret s’était relevée. Elle se tenait alors devant son père, pâle, sans respirer, les lèvres entr’ouvertes et le sein agité.

— Dites-moi son nom, père, — murmura-t-elle ; — dites-moi le nom de cet homme.

— Pourquoi veux-tu savoir son nom, Madge ?

— Peu importe pourquoi, père ; dites-le-moi !… dites-le-moi !

Elle frappa du pied tant son émotion était violente.

— Dites-moi son nom, père !… — répéta-t-elle avec impatience.

— Son nom est Henry Dunbar, — répondit Wentworth. — Il est le fils d’un riche banquier. Au mois de mars dernier, j’ai vu dans les journaux l’annonce de la mort de son père. Son oncle mourut il y a dix ans et il héritera de la fortune du père et de l’oncle. Le