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HENRY DUNBAR

quand vous avez voulu changer de genre de vie et revenir au bien, le monde a refusé de vous pardonner cette ancienne erreur. Est-ce cela, père ?

— C’est cela, Margaret. Tu as deviné juste, mon enfant, quoique tu aies oublié un fait important. Quand je commis cette erreur, ce ne fut pas pour moi, mais pour un autre. Je fus poussé au mal par un autre. Je ne profitai pas moi-même de ma faute et je n’espérais pas en retirer aucun profit. Mais lorsque tout fut découvert, ce fut sur moi que tombèrent la ruine et la honte, tandis que l’homme pour qui j’avais fait le mal… l’homme dont j’avais été le jouet… me tourna le dos et refusa de prononcer un seul mot pour me justifier, quoiqu’il ne courût aucun danger lui-même, et qu’une simple parole de lui eût suffi pour me sauver. C’était bien dur, n’est-ce pas, Madge ?

— Dur ! — s’écria la jeune fille les narines frémissantes et les mains crispées ; — c’était cruel… lâche… infâme !…

— Dès ce jour, Margaret, je fus un homme perdu. La société me flétrit de sa réprobation. Le monde ne voulut pas me laisser vivre honnêtement, et l’amour de la vie était trop fort en moi pour songer à la mort. J’essayai de mener une vie déshonnête, une vie dissipée, folle, diabolique, parmi des hommes qui trouvèrent en moi un habile instrument et surent s’en servir. Ils me menèrent à leur guise et m’abandonnèrent au jour du danger. Je fus arrêté pour faux, jugé, reconnu coupable, et condamné à la transportation à vie. Ne tremble pas, enfant, ne pâlis pas ainsi ! Tu as dû entendre bien souvent, avant aujourd’hui, murmurer autour de toi quelque chose de ce genre. Il vaut autant que tu saches toute la vérité. Je fus transporté pour la vie, Madge, et pendant treize ans je supportai les fatigues réservées aux malheureux et coupables esclaves de l’île de Norfolk… c’était, à cette époque, l’endroit où