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HENRY DUNBAR

— Mettez vos lunettes, Sampson, — dit-il, — regardez-moi bien, et vous me direz ensuite si je suis un étranger pour vous.

Le vieux commis obéit en tremblant de crainte et d’agitation. Il eut de la peine à ajuster ses lunettes.

Il regarda pendant quelques instants le visage qu’il avait devant lui et resta muet. Mais sa respiration devint plus rapide et sa figure plus pâle.

— Oui, — reprit Wentworth, — dévisagez-moi bien, et ne me reconnaissez pas si vous pouvez. Ce sera de la prudence de ne pas me reconnaître, je ne fais honneur à personne… et encore moins à un vieux et respectable commis comme vous !

— Joseph ! Joseph ! — s’écria le vieux commis, est-ce vous ? êtes-vous réellement mon malheureux frère ? Je vous croyais mort, Joseph… mort depuis longtemps !

— Et vous ne demandiez sans doute pas mieux, — répondit l’autre, amèrement.

— Non, Joseph… non, — s’écria Sampson Wilmot ; — Dieu sait que je ne vous ai jamais souhaité de mal. J’ai toujours plaint votre infortune et je vous ai excusé même quand vous étiez le plus coupable !

— C’est drôle ! — murmura Joseph avec dédain, — c’est très-drôle ! Si vous m’aimiez tant que cela, comment se fait-il que vous soyez resté dans la maison Dunbar et Dunbar ? Avec un semblant d’affection pour moi, vous n’auriez jamais pu vous résoudre à manger le pain de ces gens-là.

Wilmot secoua tristement la tête.

— Ne soyez pas trop dur envers moi, Joseph, — dit-il d’un ton de doux reproche, — si je n’étais pas resté à la banque, notre mère serait peut-être morte de faim !

Le misérable ne répondit pas, mais il détourna la tête et soupira.

La cloche annonçant le départ du train se fit entendre.