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HENRY DUNBAR

courant de voiture en voiture, était trop pressé pour s’apercevoir que le petit morceau de carton que Joseph lui tendit n’était qu’un retour pour Wandsworth. Il y eut un court instant de tumulte, un fracas de portes, une confusion de langues, puis le sifflet de la machine retentit, et le train s’éloigna.

Le vieux commis jeta un regard inquiet sur son frère cadet. Sa pâleur livide avait disparu, mais ses sourcils fortement marqués étaient encore contractés.

— Joseph !… Joseph ! — dit Sampson, — Dieu m’est témoin que je suis heureux de vous revoir après une séparation de trente-cinq ans, et tout ce que je pourrai retrancher sur mes faibles ressources, je vous le donnerai volontiers… bien volontiers. Je le ferais en souvenir de notre bonne mère à défaut d’amitié pour vous ; mais je vous aime toujours, Joseph…, je vous aime toujours bien tendrement. Néanmoins je préférerais que vous ne fissiez pas ce voyage avec moi. Je ne pense pas qu’il puisse en résulter aucun bien.

— Ne vous inquiétez pas de ce qui en résultera. J’ai à vous parler. Vous êtes un aimable frère, vous, qui voulez m’éloigner aussitôt après notre première rencontre. J’ai à vous parler, Sampson. Je veux le voir, cet homme. Je sais comment le monde m’a traité pendant ces trente-cinq dernières années, et je suis curieux de savoir aussi comment ce même monde… juste et compatissant comme il l’est… a traité le misérable qui m’a tenté et m’a trahi… Henry Dunbar !

Sampson tremblait comme une feuille. Sa santé avait toujours été faible depuis sa seconde attaque de paralysie, ce terrible et silencieux ennemi dont la main invisible avait frappé le vieux commis pendant qu’il était assis à son bureau, sans lui avoir donné le moindre avertissement. Sa santé était faible, et la secousse de sa rencontre avec son frère, ce pauvre frère perdu et déshonoré, qu’il avait cru mort pendant vingt-cinq ans,