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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

avait été presque trop forte pour lui. Et ce n’était pas tout encore : une terreur indicible s’empara de lui à l’idée d’une rencontre entre Joseph et Dunbar. Le vieillard se souvenait des paroles de son frère :

— Qu’il songe qu’il l’échappera belle si à notre première rencontre il n’a rien à payer !

Sampson avait prié nuit et jour pour que pareille rencontre n’eût pas lieu. Elle avait été retardée pendant trente-cinq ans. Allait-elle s’effectuer maintenant ?

Le vieux commis regarda la figure de son frère avec inquiétude.

— Joseph, — murmura-t-il, — j’aimerais mieux que vous ne vinssiez pas avec moi à Southampton, j’aimerais mieux que vous ne vissiez pas M. Dunbar. Vous avez été maltraité… cruellement et injustement maltraité… personne ne le sait mieux que moi ; mais il y a si longtemps, Joseph… il y a si longtemps de cela. Les mauvais sentiments s’éteignent chez un homme à mesure que les années s’envolent… n’est-ce pas, Joseph ? Le temps guérit toutes les vieilles blessures, et nous apprenons à pardonner aux autres comme nous espérons d’être pardonnés nous-mêmes… n’est-ce pas, Joseph ?

— Pour vous, c’est possible, — répondit le réprouvé avec fureur ; — mais pour moi, non !

Il n’en dit pas plus long, et croisa ses bras sur sa poitrine.

Il regardait droit devant lui par la portière du compartiment, mais il ne voyait pas le joli paysage ; il ne voyait pas les champs de blé ondulant à la brise, parsemés de coquelicots et de bluets ; le scintillement du soleil sur des eaux lointaines ; les villages et les clochers qui fuyaient au loin, à demi cachés sous les arbres. Il regardait par la fenêtre et les sites les plus attrayants se déroulaient sous ses yeux, mais c’était en vain, il ne voyait rien.

Sampson était assis en face de lui, et contemplait avec malaise cette figure sombre et contractée.