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HENRY DUNBAR

cheveu de femme ! ») devais-je, à la fin, me prendre à deux yeux noirs et à un profil raphaélesque ? Ces ailes qui avaient traversé tant de flammes sans encombre devaient-elles se brûler à la première étincelle de ce feu ? Tantôt j’étais honteux de cette folle passion ; l’instant d’après, j’étais fier de cet amour. Je rajeunis tout à coup de dix ans, et mon cœur brûla sans partage d’un dévouement chevaleresque pour cette charmante étrangère. Je me raisonnai, je tournai ma folie en ridicule, mais je cédai comme le premier venu à cette douce attraction. Je donnai cinq shillings au cocher de mon cab. N’était-il pas naturel de lui donner une gratification extraordinaire pour le payer du voyage qu’il me faisait faire dans un pays enchanté ?

« Quel était ce jour-là le menu du dîner ? J’ai une vague idée que nous eûmes une tarte aux cerises, du veau rôti, des soles frites, de la pâtisserie, et une sauce aux anchois, le tout mêlé ensemble. Je sais que le repas parut durer six heures au moins, et cependant il n’était que sept heures quand nous passâmes au salon. Mlle Wentworth ne devait venir qu’à sept heures et demie. Ma nièce était folle d’impatience et courait sans cesse à la fenêtre pour voir si sa nouvelle maîtresse arrivait. Elle se donnait là, la pauvre enfant, une peine bien inutile ; car, du fauteuil où je m’étais assis pour lire les journaux du soir, je voyais le chemin par lequel Mlle Wentworth devait arriver. Mes regards quittaient fréquemment la page que je lisais et se fixaient sur la route poudreuse. Tout à coup j’aperçus une jeune femme à taille élancée, tenant une mauvaise ombrelle à la main, se diriger vers notre maison. J’aperçus ce visage que j’ai la faiblesse de croire le plus beau du monde entier.

« Depuis cette époque, Mlle Wentworth vient trois