Page:Braddon - Henry Dunbar, 1869, tome I.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
HENRY DUNBAR

Pouvez-vous me rendre les trente-cinq années de ma vie que j’ai perdues et enlever la tache infamante qui les a souillées ? Pouvez-vous faire revivre ma mère morte il y a bien longtemps le cœur brisé par mon malheur ? Pouvez-vous ressusciter les morts ? Pouvez-vous me donner des souvenirs agréables, des pensées calmes ou l’espoir du pardon de Dieu ? Non !… non !… vous ne pouvez me donner rien de tout cela.

Dunbar était essentiellement homme du monde. Il ne s’emportait pas. C’était un homme à manières de gentleman très-rarement démonstratives, et il ne demandait qu’à vivre agréablement.

Il était complètement égoïste et sans cœur. Mais comme il possédait une grande fortune, on lui pardonnait volontiers d’aussi minces défauts que ceux de l’égoïsme et du manque de cœur, et on faisait tout haut l’éloge de la grâce de ses manières et de l’élégance de sa personne.

— Mon cher Wilmot, — dit-il sans être le moins du monde troublé par la véhémence de son compagnon, — tout cela est bien sentimental. Évidemment je ne puis vous rendre le passé. Le passé était à vous et vous pouviez l’arranger à votre guise. Si vous vous êtes écarté du bon chemin, vous n’avez pas le droit d’en rejeter le blâme sur moi. Ne parlez pas, je vous en prie, de cœurs brisés, d’existences perdues, et de toutes ces choses. Je suis un homme du monde, et j’apprécie tout cela à sa juste valeur. Je suis fâché de vous avoir mis jadis dans l’embarras, et je suis prêt à réparer d’une manière raisonnable le mal que vous a fait cette vieille affaire. Je ne puis vous rendre le passé, mais je puis vous donner la chose pour laquelle la plupart des hommes sont prêts à vendre le passé, le présent et le futur ; je puis vous donner de l’argent.

— Combien ? — demanda Wilmot avec une rage mal déguisée.