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HENRY DUNBAR

fait l’effet d’un livre d’images qu’il doit constamment feuilleter, qu’il le veuille ou non, et si les images sont horribles, s’il frissonne en les regardant, si leur vue est pour lui plus affreuse que l’agonie de la mort, il faut qu’il les regarde quand même. J’ai lu l’autre jour une histoire, ou plutôt ma fille me la lisait, pauvre enfant ! elle essaye de me calmer parfois à l’aide de ce moyen, et celui qui avait écrit l’histoire disait que les plus misérables d’entre nous devaient ne pas manquer d’adresser cette prière à l’Éternel : « Mon Dieu, conservez-moi la mémoire ! » Mais si la mémoire nous rappelle des crimes, monsieur Dunbar, faut-il demander que ces souvenirs ne s’effacent pas ? Ne vaut-il pas mieux demander que notre cerveau et notre cœur se dessèchent, et que nous n’ayons plus la faculté du souvenir ? Si j’avais pu oublier le tort que vous m’avez fait il y a trente-cinq ans, je serais sans doute un autre homme, mais je n’ai pu l’oublier. Chaque jour, chaque heure, je me suis souvenu. Ma mémoire est aussi fraîche aujourd’hui qu’elle l’était il y a trente-quatre ans, alors qu’une année seulement s’était écoulée depuis l’époque fatale.

Wilmot avait dit tout cela presque comme s’il eût cédé à une impulsion irrésistible et au besoin de parler pour parler, plutôt qu’au désir de faire des reproches à Dunbar. Il n’avait pas regardé l’Anglo-Indien, il n’avait pas changé d’attitude, sa tête était toujours restée courbée, et ses yeux n’avaient pas quitté le parquet.

Dunbar était revenu à la fenêtre et s’était remis à contempler la rue, mais il se retourna brusquement avec un geste d’impatience et de colère quand Wilmot eut fini de parler.

— Écoutez, Wilmot, — dit-il, — si les chefs de la maison de Saint-Gundolph Lane vous ont envoyé ici pour m’ennuyer et m’insulter aussitôt que j’aurais mis le