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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

que dans votre inexpérience de la science des recherches vous ne pourriez pas même vous figurer, j’ai cherché partout la trace de cette femme Meynell.

« Tout cela a été peine perdue : je n’ai trouvé aucune trace à Rouen.

« À la fin j’enrageais. Imbécile ! me dis-je à moi-même, pourquoi chercher dans cette ennuyeuse cité commerciale, et parmi ces lourds animaux, ce que tu devrais aller chercher dans le centre où tout aboutit ? De même que les rivières vont à l’Océan, tous les courants de la vie humaine affluent à ce grand océan central de l’humanité… Paris ! Là est l’alpha et l’oméga, là est le vaste cœur qui pompe et pompera sans cesse tout le sang de la nation. Voilà ce que je me dis, sans m’apercevoir que je m’élevais jusqu’à la sublimité de mon illustre concitoyen Lamartine, dont les vers ont un écho dans mon âme et dont j’aurais pu dépasser les compositions, j’ose m’en flatter, si j’avais voué aux muses le temps et les facultés que j’ai consacrés à un vilain métier qui exige le génie d’un Talleyrand, le tout pour le salaire d’un artisan. Enfin !…

« À Paris, donc, je résolus de chercher la femme Meynell, et je me rendis à Paris.

« À ma place, une personne sans expérience eût fait mettre dans les grands journaux une annonce invitant Susan Meynell à se présenter pour une communication à son avantage, ce qui eût amené une foule de fausses Susan Meynell empressées à obtenir le bénéfice de la communication. Moi, ce n’est pas ainsi que je m’y suis pris. J’ai fait insérer, au contraire, dans un des plus modestes journaux, les Petites Affiches, un avis au nom du frère de Susan Meynell implorant sa sœur de venir le trouver à son lit de mort.