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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

« Folie : allez-vous dire, puisque Susan Meynell est morte il y a trente ans, et son frère aussi. Ah ! que vous êtes naïfs, vous autres insulaires, et comme il serait impossible pour votre île brumeuse de produire un Fouché, un Canler, un génie en matière de police, un Colomb pour découvrir les mystères souterrains de votre cité !

« Le frère mourant adressant un appel à sa sœur qui est morte… Qui pourra répondre à cet appel, pensez-vous ? Quelque bonne âme chrétienne qui prendra en pitié le malade et ne voudra pas le laisser languir dans l’attente fiévreuse d’une sœur qui ne peut pas venir.

« Mon annonce paraît une fois, mon annonce paraît deux fois, trois fois, quatre fois, plusieurs fois encore. Je m’occupe de mes autres affaires et j’attends. Je n’attends pas inutilement. En effet, arrive enfin à l’adresse du mourant une lettre d’une dame qui a connu Susan Meynell, avant son mariage avec M. Lenoble.

« Ne pensez-vous pas que ce fut pour moi une heure de triomphe ? Avant son mariage avec M. Lenoble. Ces mots apparurent à mes yeux, flamboyants, écrits de la main de la dame inconnue. Eurêka ! je l’ai trouvée ! m’écriai-je ; et je m’empressai de répondre à la dame inconnue : « Voulez-vous me permettre d’aller vous voir ? »

« Je fis cette demande en termes polis et il y fut répondu avec non moins de politesse.

« La dame s’appelle Mlle Servin. Elle demeure dans la rue Madame. C’est une des plus tristes rues de Paris. Je trouvai Mlle Servin, une vieille grise et pâle. Depuis trente-cinq ans, elle habite la même maison.