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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Je présume que lui sait ce que c’est que des fonds, et il aurait été si heureux d’apprendre cette bonne nouvelle après avoir tant fait travailler son pauvre cerveau pour ces quarante livres. Je ne tiens pas autant à en parler à maman, car elle s’extasie et fait tant d’exclamations à propos de rien qu’elle est un peu fatigante, la pauvre chère maman ! Mais je vous en prie, laissez-moi le dire à Valentin ! »

Mlle Halliday avança les lèvres et offrit à son beau-père un de ces baisers qu’elle se sentait depuis quelque temps disposée à lui accorder par reconnaissance.

Sheldon prit le baiser comme s’il eût pris une médecine, mais il refusa de suivre le désir de sa belle-fille.

« Si vous tenez à faire une folie, vous pouvez lui en parler ; mais, si vous voulez agir comme une personne raisonnable, vous ne lui en direz rien. Il a économisé quarante livres à force de travail pendant ces trois derniers mois, dites-vous ; croyez-vous qu’il aurait économisé quarante sous s’il savait que vous avez cinq mille livres à mettre à sa disposition ? Je connais cette espèce d’hommes. Voyez, Goldsmith, celui qui a écrit le Vicaire de Wakefield, et Rasselas, et Clarisse Harlowe, et autres choses encore. J’ai lu quelque part qu’il n’a jamais écrit que lorsqu’il y était forcé…, c’est-à-dire lorsqu’il était sans argent. »

Charlotte reconnut la sagesse de cet argument, et elle s’y soumit. Elle n’était pas ce que l’on appelle une forte tête de femme, et, il faut bien l’avouer, la force d’esprit n’est pas, chez les femmes, un produit naturel ; il faut qu’elle ait été développée par des circonstances exceptionnelles.

Il en résulta que Valentin ne sut rien de l’engagement que la dame de ses pensées venait de contracter.