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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

son esprit devaient charmer le juge le plus froid et le plus rigoureux.

Diana l’aimait et l’admirait, mais à un point de vue purement abstrait ; il lui semblait que ce fût une personne aussi loin de sa propre vie qu’eût pu l’être un portrait de Henri de Navarre, que l’on admire dans une galerie de tableaux et qu’on oublie le lendemain.

Un seul point touchant à Lenoble occupait sérieusement sa pensée : c’était la nature de ses relations avec son père.

Ce sujet la tourmentait péniblement : tout en espérant pour l’avenir, elle ne pouvait fermer les yeux sur le passé ; elle savait que pendant des années son père n’avait vécu que d’expédients, imaginant tantôt ceci, tantôt cela ; rarement imprudent, mais toujours sans scrupules.

Comment ce hobereau normand avait-il pu être attiré dans les filets de son père et quelle espèce de piège lui avait-il tendu ?

Les conversations d’affaires, la fréquence des entrevues, l’évidente surexcitation de l’esprit de son père, tout cela se combinait pour démontrer qu’un grand projet était en voie d’exécution ; peut-être quelque entreprise commerciale, honteuse à demi, de nature à compromettre la fortune de Gustave.

« Mon père peut aussi bien se tromper lui-même que tromper les autres, se disait Diana. Ce monsieur Lenoble n’entend rien au commerce anglais, sans aucun doute, et sera disposé à croire tout ce que mon père lui dira. Il est si franc, si prêt à se fier à tout le monde. Ce serait bien dur qu’il fût entraîné à une perte par sa confiance en mon père. Et puis, il y a ses filles. En hasardant sa fortune, il pourrait compromettre leur avenir. »