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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

de ses doigts, et avec les mêmes doigts, il envoya un baiser à sa bien-aimée absente.

« Et ce noble cœur voulait me défendre contre son propre père ! se dit à lui-même Lenoble pendant qu’il se rendait à pied à son hôtel, sans penser le moins du monde que Sloane Square n’est pas du tout le centre de Londres. Quelle noblesse de caractère ! Quel désintéressement ! Pauvre vieillard ! Sans aucun doute ce doit être un tripoteur d’affaires, même à peu près un aventurier ! Eh bien ! quoi ?… il aura son appartement à Cotenoir, sa place à la table de famille, son fauteuil au coin du feu, et là il ne pourra faire aucun mal. »

Cette conversation de la soirée avec Gustave fit sur l’esprit de Diana une singulière impression.

Se sentir aimée, savoir que dans ce vaste univers, parmi ses nombreux habitants, il y en avait un qui lui portait de l’intérêt, même plus encore, de l’attachement, était pour elle un mystère, une surprise ; et, jusqu’à un certain point, une source de joie.

Que Gustave pût jamais être pour elle plus qu’il n’était en ce moment, il ne lui vint même pas à l’esprit que cela fût dans la limite des choses possibles.

Valentin était banni de son cœur, mais la chambre vacante n’était pas prête pour recevoir un nouvel occupant ; les traces et les dégradations laissées par l’ancien étaient encore fraîches. Néanmoins, savoir qu’elle pouvait être aimée était pour elle une sorte de douce consolation.

« Ah ! maintenant je reconnais la vérité de cet adage, se disait-elle. Il n’y a pas d’être si malheureux qui ne trouve un cœur qui le plaigne. J’ai trouvé le généreux cœur sympathique qui sait me plaindre et m’aimer, parce qu’il sait combien je suis dépourvue d’amour et