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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

même. Ce n’est qu’un jeune homme fort ordinaire, ayant quelque talent, et que ses dispositions portent vers le bien plutôt que vers le mal ; mais il a été le compagnon de ma jeunesse, et en le perdant il me semble que j’ai perdu une part de ma jeunesse. »

Diana pensait que cela devait mettre fin à la discussion : elle s’attendait à voir Lenoble, baissant la tête devant l’impossible, lui dire amicalement adieu, puis retourner en Normandie, convaincu, sinon satisfait.

Mais Gustave, avec son bon cœur et son heureux caractère, n’était pas un amoureux facile à décourager, un prétendant dont on pût facilement se défaire.

« Et c’est là tout ! s’exclama-t-il du ton le plus joyeux, un compagnon de votre jeunesse pour lequel vous avez eu un romanesque attachement de jeune fille ! Et le souvenir de cet incroyable idiot… Grand Dieu ! Mais combien il faut qu’il ait été stupide pour être aimé de vous et ne pas même s’en être aperçu !… Le souvenir de ce dernier des derniers viendrait se placer entre vous et moi et nous séparer à jamais ! Le fantôme de ce misérable, qui a pu être aimé d’un ange sans le comprendre, viendrait me mettre de côté, moi, Gustave, qui suis un homme et non un idiot ! Nous l’enverrons comme ceci au bout du monde, s’écria Lenoble en soufflant sur le bout de ses doigts, comme pour chasser son rival imaginaire. Le voilà envoyé aux régions arctiques, à la zone torride, au Caucase, où un vautour lui dévorera le foie… dans les lieux les plus éloignés de la terre, lui et la péronnelle qu’il a préférée à ma Diana. »

Cette manière de prendre les choses était fort inattendue pour Diana ; elle était certainement plus agréable qu’un sombre désespoir ou une explosion de mauvaise