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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

quoi me repoussez-vous, puisque vous dites que vous m’aimez, à moins que vous n’en aimiez un autre ? Qu’y a-t-il qui puisse nous diviser ?

— Des ombres et des souvenirs, répliqua tristement Diana ; des idées vagues, folles, mauvaises peut-être, mais qui s’élèvent entre vous et moi, monsieur Lenoble. Et du moment où je ne puis vous donner mon cœur tout entier, je ne veux rien vous donner.

— Vous avez aimé quelqu’un, quelqu’un qui n’a pas su apprécier votre amour ? Dites-moi la vérité, Diana ; vous me devez au moins cela.

— Je vous dois la vérité. Oui, j’ai été folle. Pendant deux ou trois années de ma vie, un jeune homme a été mon compagnon de chaque jour. Il voyageait avec nous… avec mon père et moi, et nous avons connu ensemble bien des vicissitudes et des tourments. Pendant longtemps il a été comme mon frère. Je doute qu’un frère puisse être meilleur pour sa sœur qu’il l’était pour moi. Son cœur n’a jamais varié sous ce rapport. Toujours il a été aussi bon et aussi insouciant. Une fois, je me suis fait l’illusion de croire qu’il y avait dans ses regards, dans ses manières, même dans ses paroles, un sentiment plus profond que celui d’une amitié fraternelle, mais ce n’était qu’une illusion. La suite m’a cruellement ouvert les yeux. J’ai vu son cœur engagé à une autre. Ne croyez pas, cependant, que je sois assez faible, assez mauvaise pour m’abandonner au désespoir, parce que mes folles espérances se sont évanouies. Je puis envisager en face les événements de la vie, monsieur Lenoble, et j’ai su prendre sur moi de souhaiter le bonheur de la chère enfant à laquelle a été donné un cœur que j’avais cru être à moi. La personne dont je parle n’a rien de supérieur dans son esprit ou par elle-