Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome I.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

— Non, pas aujourd’hui, capitaine, je vous souhaite le bonsoir. »

Il serra la main du vieillard, et se retira.

Le capitaine se laissa tomber lourdement dans un fauteuil et il y eut un silence de quelques minutes.

Diana le rompit la première.

« Je suis heureuse de voir que le médecin vous ait trouvé assez bien pour vous permettre de sortir en voiture, dit-elle.

— En vérité, ma chère, répondit son père avec un gémissement, j’espère que ma première sortie sera dans un autre genre de voiture… mon dernier voyage, jusqu’à ce que l’on enlève mes os pour en faire du fumier. Je crois qu’on emploie les os des pauvres pour en faire de l’engrais en ce siècle utilitaire et brutal.

— Papa, pouvez-vous dire d’aussi horribles choses ?… Vous êtes mieux maintenant. M. Lenoble m’a dit que vous alliez mieux.

— Oui, je suis mieux, Dieu merci ! répondit le vieillard trop faible d’esprit et de corps pour dissimuler la colère qui l’animait. C’est là une des contradictions de la comédie burlesque qu’on appelle la vie. Si j’avais été un homme riche, avec un cercle d’anxieux parents et d’importants personnages autour de mon lit, je ne doute pas que je serais déjà mort ; mais comme il se trouve que je suis un pauvre diable sans le sou, avec une misérable loueuse d’appartements meublés et un médecin à demi mort de faim pour prendre soin de moi, sans autre perspective que l’hôpital, je continue à vivre. Morbleu ! Il est facile de prendre les choses comme elles viennent quand on est malade et sans force, même pour penser… Cela n’est pas le moment d’épreuve, Le véritable jour critique arrive quand on se sent un peu re-