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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Un esprit élevé trouve toujours quelque élément de consolation, mais pour une nature basse le chagrin est sans compensation ; les souffrances de la chair paraissent même beaucoup plus vives lorsque le courage ne vient pas aider à les supporter.

Paget n’était pas maître de son chagrin ; il ne pouvait envisager en face l’idée que sa vieillesse se passerait dans la pauvreté : il était fatigué de travailler ; les expédients et les artifices qui l’avaient aidé à vivre commençaient à lui devenir insupportables, ils étaient d’ailleurs presque tous usés et hors d’état de produire.

Il est vrai qu’en tous cas il avait de grandes espérances du côté de Lenoble ; mais ces espérances n’étaient fondées que dans l’hypothèse où Gustave serait reconnu héritier de John Haygarth.

Il avait besoin de quelque chose de plus positif ; il avait besoin d’une sécurité immédiate.

Le mariage de sa fille avec Gustave lui eût donné cette sécurité et des espérances encore plus grandes pour l’avenir : il s’était flatté de l’idée qu’il régnerait sur les vassaux de Cotenoir ; qu’il y serait un personnage plus considérable que le maître lui-même.

Il avait même formé l’agréable projet de s’assurer un pied-à-terre à Paris ; l’existence en Normandie pourrait en effet être quelquefois ennuyeuse.

C’était tout cela qu’il entendait lorsqu’il avait parlé d’un port de refuge pour ses vieux jours.

Pour celle qui, par son seul caprice, le privait de tout cela, il n’éprouvait plus d’autre sentiment que celui de l’indignation.

Diana se sentit prise de compassion pour ce faible vieillard qui avait cru voir si près de ses lèvres la coupe de la prospérité et aux lèvres duquel elle l’avait enlevée.