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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

— Il faut que je puisse donner mon cœur à celui qui me donne le sien.

— Et, par tout ce qu’il y a de plus sacré, qu’est-ce qui peut vous empêcher de donner votre cœur à Lenoble ?

— Je ne puis vous le dire.

— Non, ni à moi, ni à personne. Mais il est temps de mettre fin à cette folie. Si vous voulez que je continue à vous considérer comme ma fille, vous épouserez Lenoble, sinon… »

Le capitaine se trouva subitement arrêté au moment où, sans y songer, il parodiait la menace du seigneur Capulet à sa fille la récalcitrante Juliette.

De quoi pouvait-il bien menacer sa fille, pour la forcer à obéir ?

Avant de menacer une fille rebelle de la mettre à la porte de chez soi, il est nécessaire d’abord d’avoir une demeure d’où on puisse l’expulser.

Le capitaine pensa à cela et se trouva en ce moment obligé de garder un ignominieux silence.

Il devait cependant y avoir quelque moyen d’amener à la raison cette stupide créature.

Pendant quelques minutes, il resta assis en silence, la tête penchée dans ses mains, la figure hors de la vue de Diana.

Ce silence, cette attitude si expressive d’un profond désespoir, la touchèrent plus vivement que son accès de colère : elle connaissait son égoïsme, elle savait parfaitement que ce qu’il regrettait le plus, c’était ce qu’il perdait lui-même, et néanmoins elle eut pitié de lui. Il était vieux, malheureux, et sans appui : il était d’autant plus à plaindre qu’il était plus égoïste et avait des sentiments plus vulgaires.