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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

cien livre, triste et mouillé de larmes, devait être oublié, mis de côté.

« Cher ange, pourras-tu jamais apprendre à m’aimer ? demanda Gustave à voix basse et en frôlant les joues de Diana de son souffle, de ses lèvres, de ses fortes moustaches.

— Il est impossible de ne pas vous aimer, » répondit-elle avec un accent plein de douceur.

Et en réalité il lui semblait que ce chevaleresque enfant de la Gaule avait été bâti par la nature pour troubler les femmes et faire trembler les hommes.

Elle le vit comme une sorte d’Achille en frac, un Bayard sans cotte de maille, un Don Quichotte jeune et frais, généreux, brave, compatissant, doux, et n’ayant pas encore la cervelle détraquée par les bêtises des romans.

Paget sortit de sa retraite, quand la scène d’amour fut finie.

Il affecta de ne pas se douter de la poésie que comportait la situation ; il feignit de s’occuper du thé, des bougies, et des petits riens, ce qui fait que les amoureux purent reprendre leur sang-froid.

Le Français n’était pas le moins du monde déconcerté, il n’était pas plus gai qu’à l’ordinaire, et il vous avait un petit air conquérant qui n’était pas déplaisant.

Diana était pâle, mais il y avait un éclat inaccoutumé dans ses yeux : elle n’avait en tout cas rien en elle qui révélât la victime fraîchement déposée sur l’autel de l’obéissance paternelle.

Tout compte fait, Mlle Paget était plus heureuse qu’elle ne l’avait jamais été.

À vingt-trois ans elle était encore assez fillette pour se réjouir de se savoir aimée sincèrement, et assez femme