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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

il était menacé étaient le renard que le spéculateur, comme le Spartiate, portait chaque jour sous son gilet pendant que sa vie triste et monotone suivait son cours, que son insignifiante femme lui souriait au coin de la cheminée, plus occupée de son crochet ou d’un nouvel ouvrage de tapisserie que de la vie intérieure de son mari, que Charlotte et son amoureux, contemplant l’existence à leur point de vue, s’abandonnaient à leurs rêves et à leurs espérances et étaient en toutes choses aussi loin du triste songeur, que si le hasard les avait fait naître aux Grandes-Indes.

La ruine qui menaçait le spéculateur malheureux n’était pas immédiate, mais elle n’était plus fort éloignée, l’ombre lui en apparaissait dans une obscurité crépusculaire.

Sa réputation d’homme habile et sûr n’existait plus, il était rangé parmi les hommes audacieux et les niais secouaient la tête quand on parlait de lui.

« L’un des premiers qui sautera sera Sheldon, » disait-on.

Mais dans ces temps de crise commerciale il n’y avait pas à dire qui sauterait le premier : c’était la fin du monde en petit. L’un était pris et l’autre était laissé.

La Gazette remplissait ses colonnes comme une rivière qui déborde, toute une page du Times était absorbée, les hommes dans les affaires regardaient les listes de noms dans les journaux du mercredi et du samedi, comme si la trompette des archanges sonnait pour la destruction de l’univers.

Depuis quelque temps, la barque dans laquelle Sheldon avait bravé la tourmente était faite en papier. Ce n’était rien : les barques en papier sont celles qui se soutiennent le mieux sur l’eau, mais la barque du capi-