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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

teau à vapeur, nous regardions passer les côtes monotones de la Hollande en nous amusant aux dépens des autres passagers.

« Alors j’étais complètement seule. Il me semblait qu’on me regardait d’un œil soupçonneux et peu favorable. Je ne pouvais prendre mes repas avec les autres voyageurs et j’étais assez sotte pour me sentir blessée à l’idée qu’on devinait les motifs réels qui me faisaient fuir les repas, qui m’envoyaient leurs odeurs nauséabondes, pendant que je restais assise sur le pont occupée à lire un roman.

« Et quel serait le résultat de mon voyage ? Ah ! Charlotte, vous ne pouvez vous imaginer ce que c’est que de voyager ainsi, sans savoir si on trouvera un asile à la fin du voyage !

« Je savais qu’à une certaine heure nous devions arriver au Dock Sainte-Catherine, mais hors cela, je ne savais rien. J’avais juste de quoi payer le cab qui me conduirait chez ma cousine Priscilla. Je descendrais là sans un sou. Et qu’arriverait-il si ma cousine refusait de me recevoir ? Un moment je me figurai que cela même était possible, et je me vis errant dans Londres, affamée et sans asile.

« Ce fut mon dernier voyage ; je m’y suis appesantie plus longtemps que je n’aurais dû le faire, mais j’ai voulu vous faire bien comprendre ce qui me rend cher M. Lenoble.

« Si vous pouviez vous rendre compte du contraste existant entre le passé et le présent, comme j’en étais frappée sur le pont du bateau de Douvres pendant qu’il était près de moi, vous sauriez pourquoi je l’aime et pourquoi je lui suis reconnaissante.

« Nous étions assis à côté l’un de l’autre, regardant