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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

des quatuors, des fugues, ou de grands opéras, tels que Fidelio. Avez-vous jamais entendu ceci de Beethoven ? »

Sur ce elle joua un air de romance avec un sentiment profond de tristesse.

Ses deux auditeurs écoutaient, muets et vivement émus.

Puis, de ce premier morceau, elle passa à un autre plus mélancolique encore dont la musique a été adaptée à quelques-uns des vers les plus délicieux que Thomas Moore ait jamais composés : la poésie du divin barde irlandais était populaire à cette époque.

La dame anglaise avait chanté ces vers dans une heureuse demeure, plusieurs années auparavant. Qui peut dire combien de souvenirs, quels tableaux rappela à son esprit cette plaintive mélodie ?

Les paroles lui revinrent à la mémoire en même temps que la musique : ces paroles, leur douloureuse signification, l’image des amis au milieu desquels elle les avait chantées autrefois, le souvenir de la paisible demeure dont les murs en avaient répété l’écho ; tout cela lui apparut comme une déchirante vision, et la locataire de la Pension Magnotte, se couvrant la figure de ses deux mains, se mit à sangloter.

Cet accès ne dura qu’un instant ; Mme Meynell s’essuya les yeux et se leva pour quitter le salon.

« Ne me questionnez pas, dit-elle en s’apercevant que ses deux compagnons se préparaient à lui offrir leurs consolations. Je ne puis vous dire les souvenirs qu’a évoqués en moi cette musique. Elle m’a ramenée dans une demeure que je ne reverrai jamais ; elle m’a rappelée l’image des morts, pires que morts pour moi, du bonheur que j’ai perdu, des espérances et des rêves de ma jeunesse. Oh ! Dieu veuille que je n’entende plus jamais cette mélodie. »