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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Il y avait dans ses paroles une expression passionnée toute nouvelle pour Gustave. Il lui ouvrit la porte du salon sans prononcer une parole, et elle sortit avec la silencieuse démarche d’un fantôme, le fantôme de cette brillante jeune femme qui autrefois avait eu sa forme et avait été appelée par son nom dans une agréable ferme du comté d’York.

« Ah ! comme la pauvre femme a dû souffrir ! s’écria Mlle Servin, dès que la porte se fut refermée. Je ne la croyais pas susceptible d’une aussi grande émotion. Je la croyais de pierre ; mais maintenant je commence à penser qu’elle pourrait être comme la pierre de Niobé : la statue du Désespoir. »

Cette scène fit une impression profonde sur Gustave : il ne ferma pas l’œil de la nuit.

La mélodie qu’il avait entendue lui revenait comme un rêve.

Il se leva inquiet, fiévreux, ne pensant pas plus à Cotenoir et à Madelon que si le lieu et la personne ne fussent jamais sortis des ombres du chaos.

Il avait besoin de la voir de nouveau, de la consoler si cela était possible. Il la plaignait avec une telle intensité, que cette compassion même devenait un martyre ; il avait pitié d’elle.

Oui, il se dit, il se répéta plusieurs fois à lui-même que ce sentiment par lequel son cœur et son esprit étaient ainsi absorbés n’était que de la pitié.

Mais si ce n’était que de la pitié, qu’était-ce donc que l’amour ?

Ce fut une question qui se posa plusieurs fois à l’esprit de Lenoble de Beaubocage in esse et Cotenoir in posse.

Mme Meynell paraissait rarement, au déjeuner, dans