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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Il cherchait à se persuader à lui-même que cela devait lui être indifférent. Puisque le coup mortel, cruel, inévitable, ne pouvait manquer de le frapper, il fallait le laisser venir.

Chaque jour, lorsqu’il rentrait pour le dîner, Lenoble s’attendait à voir une place vacante à côté de son hôtesse, et chaque jour il était agréablement surpris ; il retrouvait toujours le triste visage, pâle comme celui d’un spectre ; mais, chaque jour, il lui semblait plus pâle et plus triste.

Il demanda à Mme Magnotte quand la dame anglaise devait partir ; mais celle-ci ne put le lui dire.

« Elle parle de s’en aller d’un jour à l’autre, lui répondit-elle, ce sera sans doute bientôt. Je suis fâchée de la perdre ; c’est une personne très-tranquille qui ne donne aucun embarras ; mais elle est si triste, mon Dieu ! est-elle triste ! Elle a souffert ! allez, monsieur. »

Gustave partagea cette opinion.

Oui, elle avait dû souffrir, mais quoi et comment ?

Il l’observait très-attentivement ; mais elle était toujours la même. Elle avait cessé de venir passer ses soirées au salon et restait enfermée dans sa chambre. Il ne la voyait qu’à l’heure des repas et ne pouvait trouver l’occasion de lui parler.

Le jour arriva enfin où elle ne parut pas à l’heure du dîner.

Il s’assit à la table sans parler ; il mangea un peu, il but un peu, machinalement, sans avoir conscience de ce qu’il mangeait ou de ce qu’il buvait. Il avait un nuage devant les yeux, un bruit confus de voix dans les oreilles ; mais les facultés de voir et d’entendre paraissaient suspendues en lui.

L’angoisse qu’il ressentit pendant cette heure malheureuse était aussi amère que la mort.