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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

seulement si elle voudrait l’apprécier et l’accepter ? »

Lenoble prit tous les renseignements nécessaires au bureau des messageries et en informa Mme Meynell. Il remarqua qu’elle avait froncé légèrement le sourcil lorsqu’il lui avait dit le prix du voyage, qui, à cette époque, était élevé.

« Elle doit certainement être pauvre, » se dit-il à lui-même.

Et son cœur se serra en pensant que, même à ce misérable point de vue, il n’était pas en état de lui venir en aide : le maître futur de Beaubocage et Cotenoir était à ce moment absolument dépourvu d’argent comptant.

Il avait sa montre !… il mit la main sur cette sentinelle du temps pendant qu’il parlait à Mme Meynell.

« Je te porterai chez ma tante, ma chère, » se dit-il à lui-même.

Mais il doutait que le grand-prêtre de la montagne pieuse, la providence du pauvre, consentît à avancer beaucoup sur cet antique spécimen de l’art de l’horloger.

Après cette soirée, il ne cessa de penser chaque jour et à toute heure au chagrin que lui causerait son départ : elle allait s’évanouir de sa vie comme une neige qui se fond, et elle ne laisserait derrière elle que son souvenir pour lui rappeler qu’il l’avait connue et aimée.

Pourquoi cela devait-il lui être si dur à supporter ? Si elle restait, il n’oserait pas lui dire combien il l’aimait, il n’oserait pas lui offrir de lui venir en aide. Dans le monde entier, il n’y avait pas de femme qui fût plus complètement séparée de lui, qu’elle habitât la même maison ou qu’elle en fût aussi loin que les Antipodes.

En quoi, dès lors, cela lui importait-il, puisqu’elle devait disparaître de son existence, que ce fût aujourd’hui ou plus tard ?