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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

pagne d’enfance, et était alors bien mariée. Je devais lui écrire pour lui annoncer notre arrivée, et la nuit suivante, nous quittions Newhall, en secret, avec M. Kingdon. Je ferais ensuite ma paix avec ma sœur et mon beau-frère quand le mariage serait accompli. Comment vous dirai-je le reste ? Il m’avait trompée depuis le commencement jusqu’à la fin. La voiture qui devait, comme je le croyais, nous conduire à Londres nous transporta à Hull ; de Hull nous nous rendîmes par mer à Hambourg. À partir de ce moment mon histoire n’est que honte et misère. Je crus que mon cœur se briserait à l’heure où je découvris que j’avais été abusée. Je l’aimais, je restai liée à lui pendant longtemps, bien que je le connusse égoïste, faux, et cruel. Cet amour était plus fort que ma volonté. Mon existence n’a pas été celle que l’on représente dans les romans. Ce n’a pas été une existence de luxe, de splendeur et de débauche, mais une longue lutte avec les dettes et les difficultés de tous genres. Nous vivions à l’étranger, non pour notre plaisir, mais parce que M. Kingdon n’osait pas se hasarder à paraître en Angleterre. Son frère, Lord Durnsville, n’avait jamais promis de payer ses dettes. C’était un mensonge inventé pour tromper ma sœur. Pendant sept longues et pénibles années je fus son esclave, une véritable et fidèle esclave, souvent sa garde-malade, et toujours sa patiente victime. Nous avions vécu de côté et d’autre, en France, pendant deux ans, lorsqu’il m’amena à Paris. Ce fut là qu’il commença à me négliger. Oh ! si vous pouviez savoir quelles affreuses journées et quelles nuits j’ai passées dans l’hôtel garni où nous demeurions de l’autre côté de la rivière, vous auriez pitié de moi !

— Mon cher amour, mon cœur est plein de pitié pour