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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

vous, dit Gustave. Ne m’en dites pas davantage ; je puis aisément deviner la suite. Un jour vint où la négligence amena l’abandon.

— Oui, M. Kingdon m’abandonna un jour sans un seul mot d’avertissement pour atténuer le coup. Je l’avais attendu. J’avais veillé pour l’attendre pendant deux interminables jours et deux nuits, lorsque vint une lettre pour me dire qu’il était en route pour Vienne avec un habitant des Indes-Orientales et sa fille. Il devait épouser la fille. C’était sa pauvreté, me disait-il, qui l’avait obligé à prendre ce parti. Il m’engageait à retourner chez mes amis du comté d’York. À retourner !… Comme s’il n’eût pas su que la mort était préférable pour moi. Il y avait dans la lettre une petite somme d’argent avec laquelle j’ai vécu jusqu’à ce moment. Lorsque vous m’avez rencontrée pour la première fois, il n’y avait pas longtemps que j’avais reçu cette lettre. »

Ainsi se termina l’histoire.

Dans l’excès de son humiliation elle n’osait pas lever les yeux vers son compagnon ; mais elle sentit qu’il lui prenait les mains et elle comprit qu’il était encore son ami.

C’était tout ce qu’elle demandait à la Providence.

Pour Gustave ce récit fut horriblement douloureux.

Il avait espéré entendre une tragédie exempte de honte, et la honte était ce qu’il y avait de plus amer pour lui.

Cette femme qu’il aimait si tendrement n’était pas un innocent martyr, la victime d’une inévitable destinée ; ce n’était qu’une vaine beauté provinciale, qui avait consenti à se laisser enlever de sa paisible de-