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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

aide à son mari. C’est pour cela qu’elle s’en est allée. Cette pensée semblait lui donner une sorte de fièvre et en même temps la force que la fièvre donne.

— Et il n’est venu aucune lettre… rien ?

— Rien, mademoiselle. »

Cydalise se décida alors à retourner à Beaubocage : elle ne pouvait guère laisser plus longtemps l’enfant aux voisins, même en payant la dépense qu’il occasionnait, ce qu’elle voulut absolument faire, bien qu’ils résistassent à accepter une récompense pour avoir partagé leur pot au feu et leur pain bis.

Elle se décida à un acte téméraire : à emmener avec elle le fils de son frère, se confiant pour le reste à la Providence, à la chance d’un réveil soudain de la nature, dans un cœur qui, pendant si longtemps, avait langui dans une sorte de torpeur qui ressemblait à la mort.

Ce petit garçon eut un gros chagrin de ne plus voir ces figures familières, de ne plus entendre ces voix caressantes qui avaient si subitement disparu de sa vie ; mais la voix de sa tante était douce, tendre, et elle avait un son qui lui rappelait Celle de son père.

Ils quittèrent Rouen dans la lourde voiture publique qui faisait le service entre Rouen et Vire.

« Il ne faudra pas que tu m’appelles ma tante d’ici à quelque temps, mon petit chéri, » lui dit-elle.

Ah ! quelles larmes amères versèrent les deux femmes sur les doux cheveux blonds de la petite tête quand elles furent seules avec lui, à Beaubocage, dans la chambre de la tourelle, sur les murs blancs de laquelle les yeux de Cydalise s’étaient ouverts presque chaque matin pendant toute la durée de sa pure et monotone existence.