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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Mlle Frehlter, du reste, n’avait nullement manifesté qu’elle eût le cœur brisé : elle en avait été passablement indignée et s’était montrée moins tolérante que jamais envers le curé et le chien de sa mère pendant sa courte période de deuil.

Elle avait néanmoins recouvré très-vite sa bonne humeur en se voyant courtisée par un jeune sous-lieuternant de cavalerie qui était en garnison à Vire, le rejeton d’une plus grande maison que celle des Lenoble, et dont la bonne tournure ainsi que le haut lignage avaient en définitive prévalu auprès du baron.

Ce dernier n’avait pas une trop bonne opinion du gendre qu’on voulait lui imposer, mais la tranquillité était, avec une quantité illimitée de tabac à fumer, le plus grand bien auquel aspirait son esprit germanique ; et pour sa tranquillité dans le présent il se trouva disposé à hasarder le bonheur de sa fille dans l’avenir.

« Celui-là est très-brillant, disait-il en parlant de M. de Nérague, le jeune lieutenant, mais ce n’est pas un garçon solide comme Gustave. Votre fils est honnête, franc, c’est un brave cœur. C’est pour cela que j’aurais voulu lui donner Madelon. Mais c’est la Providence qui dispose, comme nous le dit souvent le bon abbé Saint-Velours, et il faut savoir nous résigner. Le jeune de Nérague plaît à ma fille, et il faut que j’en passe par là ; bien que pour moi il sente trop la caserne, mon ami. »

Cette odeur de caserne qui distinguait le sous-lieutenant Paul de Nérague, devint plus odieuse après son mariage avec la vertueuse Madelon, lorsqu’il fut établi, niché, comme il appelait cela, dans un très-confortable, bien qu’un peu sombre appartement à Cotenoir.

— Son goût pour le sexe, comme il disait, sa facilité à