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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

inviter tout le régiment à dîner, à souper, à prendre des grogs, de la bière chez le beau-père, ses façons cavalières avec les servantes qu’il embrassait comme du pain dans les couloirs, disant que c’était pour le principe, la franchise tapageuse de ses allures, frappèrent de stupeur Mme Frehlter et sa fille.

Aussi la vieille dame fut-elle enchantée d’apprendre que le régiment du turbulent Paul s’en allait guerroyer en Afrique.

La vertueuse Madelon était trop stoïque pour pleurer son époux ; mais, malgré son stoïcisme, elle ne fut pas à l’abri des mortelles atteintes de la jalousie, et elle ne pouvait écarter de son esprit des visions de demoiselles plus ou moins voilées de l’Orient assiégeant le cœur trop inflammable du lieutenant de Nérague.

Le jeune officier était encore absent à l’époque où Cydalise revint de Rouen avec l’enfant de son frère.

Le petit garçon dormait paisiblement dans un berceau à côté du lit de sa tante (ce berceau avait été celui de son père trente ans auparavant), lorsque Lenoble revint ce soir-là de Cotenoir.

Ce fut seulement le lendemain qu’il vit l’enfant.

Il avait fait sa tournée ordinaire du matin dans le verger et le jardin, lorsque, en entrant dans le salon, il aperçut le petit garçon assis à côté du fauteuil de sa mère jouant avec des dominos.

Quelque chose, peut-être la ressemblance avec son fils, l’habillement noir du petit, car Cydalise avait trouvé moyen de lui procurer un costume de deuil convenable, frappa subitement le cœur du vieillard.

« Quel est cet enfant ? demanda-t-il avec une étrange vivacité.