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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

dit le numéro de la case où il fallait prendre le vin, un vieux vin qu’il avait acheté pour quelque occasion spéciale, que personne ne devait peut-être goûter que vous, et dont vous deviez prendre un verre, tous les jours, à onze heures. M. Sheldon insista tout particulièrement sur la question de l’heure. « La régularité est la moitié de la cure en pareil cas, » dit-il, et si vous ne vous conformez pas à ses désirs et aux miens dans cette circonstance, Charlotte, il y aura véritablement de l’ingratitude à vous.

— Mais, chère maman, je me conforme au désir de papa. Je bois mon verre de porto tous les matins à onze heures. Je vais prendre dans le buffet de la salle à manger le carafon qui m’est spécialement destiné, le verre qui m’est affecté, et cela avec la ponctualité la plus minutieuse. Je n’aime pas le vin, et je n’aime pas toute la peine qui résulte de toutes les cérémonies qu’il faut faire pour le prendre, mais je m’acquitte de ce devoir religieusement pour vous plaire à vous et à papa.

— Et prétendez-vous dire que vous ne vous sentez pas plus forte, après avoir pris ce vin coûteux régulièrement depuis près de six semaines ?

— Je regrette de dire que je ne me sens pas plus forte. S’il y a un changement, c’est une plus grande faiblesse.

— Mon Dieu ! s’écria Mme Sheldon d’un ton affecté, vous êtes réellement une fille bien extraordinaire ! »

Mme Sheldon avait presque au fond du cœur la pensée de la qualifier de fille ingrate. Elle trouvait une sorte d’ingratitude dans cette inutile consommation d’un vieux porto de quinze shillings la bouteille.

« S’il faut que je vous le dise, Charlotte, ajouta-t-elle, je suis convaincue que votre maladie, ou votre faiblesse, est une affaire d’imagination.