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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

— Pourquoi, maman ?

— Parce que si votre faiblesse était réelle, le vieux porto vous aurait fortifiée. Le fait seul que le vieux porto ne vous fait pas de bien est une preuve que votre faiblesse n’est qu’imaginaire. Les jeunes filles de votre âge sont fantasques. Regardez-moi, voyez le martyre que me font subir ces maux de tête nerveux qui me plongent dans une prostration complète, après la moindre fatigue ou la moindre émotion. Les nerfs de ma tête, quand j’ai vérifié le livre du boucher, me mettent à l’agonie. Quand vous aurez une maison à surveiller et que vous verrez le même carré de mouton compté deux fois avec la plus rare impudence, des câpres et du carri en poudre, que vous savez n’avoir jamais eu, figurer à chaque page sur le livre de l’épicier, et que vous n’aurez que votre mémoire pour vous préserver d’une ruine complète, c’est alors que vous apprendrez ce que c’est que d’être réellement malade. »

C’est avec cette facilité que Mme Sheldon écarta le sujet de la maladie de sa fille, mais il ne fut pas si aisément abandonné par Diana, qui aimait son amie d’une affection qui n’aurait pu être ni plus vive, ni plus forte si elle eût été sa sœur.

La préférence même de Valentin pour son heureuse rivale n’avait pu diminuer l’affection de Diana pour son amie et sa bienfaitrice. Elle avait été jalouse du sort heureux de Charlotte, mais à l’heure où sa jalousie avait été la plus cruelle, son attachement pour son amie n’avait pas été ébranlé.

Mlle Paget resta fort silencieuse pendant le retour à la maison : elle comprenait maintenant la nature de ce changement survenu chez son amie et qui l’avait si fort intriguée jusqu’alors.