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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

mon empire sur mes nerfs, je serais aussi bien que jamais. Je ne m’étonne pas que l’idée des symptômes qui se manifestent en moi irrite presque ma mère. Elle a été accoutumée à croire que le privilège de ces symptômes lui était dévolu, et l’espèce de plagiat auquel je me livre lui semble presque une impertinence. Pour une forte fille comme moi, voyez-vous, chère Diana, qui se sent brisée de fatigue quand elle a descendu quelques marches ou qu’elle les a remontées, empiéter sur les prérogatives de maman que justifient le déplorable état de ses nerfs et les vapeurs noires qui l’accablent, c’est absurde et tout à fait abominable. Aussi je suis résolue à faire tête à mes nerfs et à en triompher.

— Ma chère amie, vous en viendrez à bout, si vous l’essayez, dit Diana qui cherchait parfois à se tromper elle-même en accueillant l’espoir que les malaises de Charlotte étaient plus imaginaires que réels. Je crois que votre existence monotone est pour quelque chose dans l’altération de votre santé, vous avez besoin de changer de lieux, ma chérie.

— Changer de lieux quand j’ai vous et Valentin auprès de moi, non, Diana. Il serait certainement agréable de voir le tableau changer de temps en temps, d’apercevoir les cimes des Alpes à l’horizon, ou les coteaux des vignobles du Midi, ou même les steppes de la Russie et les forêts de la Hongrie. On se lasse d’être condamné à Bayswater à perpétuité… et M. Sheldon, et le rôti de bœuf, et l’éternelle discussion sur la question de savoir s’il est cru au point de ne convenir qu’à des cannibales ou s’il est réduit à l’état de charbon, et les verres de sherry, et les verres de Bohême aux teintes rouges et bleues, et les amandes, et les raisins, et les biscuits dont personne ne mange, et ces ennuyeux dîners pen-