Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
LA FEMME DU DOCTEUR

pas ambitieux ; j’ai depuis longtemps renoncé à faire figure dans un monde qui m’a toujours semblé, plus ou moins, pareil à une parade foraine, avec des cymbales retentissantes et des fanfares de cuivre, des promesses, des protestations, et des vanteries au dehors, mais ne montrant à l’intérieur que retard, désappointement, et tromperie. Je ne quitte donc pas grand’chose ; mais je renonce avec bonheur au peu que j’ai. Venez avec moi, Isabel ; je vous emmènerai vers les endroits magnifiques dont vous avez semblé m’entendre parler avec plaisir ; le monde tout entier nous appartient, ma bien-aimée, excepté ce petit coin du Midland. De grands vaisseaux nous attendent pour nous emporter bien loin vers les rivages méridionaux, les paradis des tropiques, les forêts profondes et impénétrables. Toute la terre est organisée pour nous donner le bonheur. L’argent, qui m’a été si inutile jusqu’à présent, aura désormais un nouvel usage, car il sera consacré à vos plaisirs. Vous rappelez-vous avoir ouvert bien grands vos yeux l’autre jour, Isabel, et vous être écriée que vous voudriez bien voir Rome, et le tombeau du pauvre Keats, et le Colisée… le Colisée de Byron… où le gladiateur poétique rêve à sa femme et à ses enfants, Izzie ? J’ai bâti un beau rêve sur cette exclamation enfantine. Je sais le balcon où nous nous assoirons, ma chérie, dans les sombres nuits du Carnaval, pour contempler la foule dans les rues, à nos pieds, et, une certaine nuit sublime entre toutes, le dôme colossal de Saint-Pierre, étincelant comme un dais de lumière, pendant que les bas-reliefs et les colonnes resplendissent dans les ténèbres, comme l’image d’une cité de feu. Isabel, vous ne pouvez avoir ignoré le but vers lequel notre destinée nous