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DU SERPENT.

son apparition n’était pas sans mélange de contrariété.

Elle s’insinuait, comme un hôte non convié à un thé composé d’amis, et isolait subitement sur sa chaise chaque convive mâle ou femelle comme dans une île.

Dans les cuisines situées sur le bord du Sloshy, il n’y avait pas une souris, pas un grillon, tant l’eau était un terrible ennemi engloutissant toutes les joies et toute la paix domestique.

Il est vrai que, pour quelques esprits indépendants et aventureux, la crue de la rivière apportait une espèce de volupté excentrique. Cela donnait à l’insipide monotonie de Slopperton une saveur des délices de Venise, et pour une imagination vive, chaque barque de charbon qui arrivait se changeait en gondole, et ne demandait qu’un chevalier avec un pourpoint de satin, des souliers à la poulaine et une guitare, pour compléter le tableau.

On avait en effet entendu dire à miss Jones, la modiste et confectionneuse de robes, que lorsqu’elle avait vu l’eau monter jusqu’aux croisées de son salon de réception, elle avait pu difficilement se persuader qu’elle ne fût pas réellement dans la cité des coursiers ailés, à l’angle de la place circulaire de Saint-Marc, et à trois portes du Pont des Soupirs. Miss Jones était parfaitement au courant de la topographie vénitienne, ayant été abonnée à un