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DE LADY AUDLEY

son, qu’il m’écrivit une lettre furieuse où il me signifiait qu’il ne voulait plus avoir de rapports avec moi, et qu’à partir du jour de mon mariage la pension annuelle qu’il m’allouait était suspendue. Il n’y avait pas moyen de rester dans un régiment comme le mien sans autre chose que ma paye d’officier pour vivre et entretenir une jeune femme ; aussi vendis-je mon brevet, pensant qu’avant d’en avoir épuisé le prix je pourrais sûrement me caser quelque part. Je partis avec ma chérie pour l’Italie, où nous menâmes un magnifique train de vie aussi longtemps que durèrent mes mille livres ; mais lorsque notre trésor se trouva réduit à quelques centaines de livres, nous retournâmes en Angleterre, et ma chère femme ayant eu la fantaisie d’être près de son ennuyeux vieillard de père, nous nous établîmes dans une petite ville d’eaux où il s’était retiré. À peine eut-il appris que j’avais encore quelques centaines de livres qu’il nous témoigna une affection incroyable et insista pour que nous prissions pension chez lui. Nous y consentîmes, toujours pour plaire à ma chérie, qui avait en ce moment particulièrement droit à voir satisfaire tous les caprices et toutes les fantaisies de son cœur innocent. Nous vécûmes donc avec lui, et, finalement, il nous dépouilla. Lorsque je parlais de sa conduite à ma petite femme, elle se contentait de hausser les épaules et de me dire qu’elle aimait mieux ne pas mécontenter son pauvre papa. Aussi, pauvre papa dépensa-t-il follement en un rien de temps notre petit pécule. Sentant alors la nécessité d’aviser aux moyens de me procurer des ressources, je partis pour Londres, et j’essayai de me placer dans un comptoir de négociant, comme commis, caissier, comptable ou quelque chose de ce genre. Je dois supposer que je portais sur moi le cachet d’un dragon obtus, car je ne pus trouver personne qui eût confiance en ma capacité, et je re-