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Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t2.djvu/149

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DE LADY AUDLEY

instinct ces plats coûteux. Si un alderman déclarait qu’il n’aime pas le porc frais, on le considérerait aussitôt comme un martyr social, un Marcus Curtius de la table, qui s’est immolé lui-même au profit de ses semblables. Les aldermen ses collègues croiraient à n’importe quoi plutôt qu’à un dégoût hérétique pour ce que la Cité envisage comme l’ambroisie de la soupière. Mais il y a des gens qui n’aiment pas le saumon, le poisson blanc délicat, les canards printaniers et toute espèce de morceaux choisis dont la réputation est bien établie ; et il y a d’autres personnes qui ont un faible pour des plats excentriques, de mauvais goût, et généralement réputés nauséabonds.

Hélas ! ma jolie Alicia, votre cousin ne vous aimait pas ! Il admirait votre bonne figure anglaise toute rose et ressentait pour vous une tendre affection, qui, avec le temps, serait peut-être devenue assez vive pour le pousser à vous épouser, à contracter avec vous cette espèce d’union banale dont on voit tous les jours des exemples et qui ne demande pas un dévouement bien passionné, sans la secousse violente qu’elle avait reçue dans le Dorsetshire. Oui, l’affection naissante de Robert Audley pour sa cousine, cette plante si lente à pousser, il faut bien en convenir, avait été arrêtée tout à coup dans sa croissance et s’était rabougrie dans cette froide journée de février où il avait causé avec Clara Talboys sous les pins. Depuis, le jeune homme avait éprouvé une sensation désagréable en songeant à la pauvre Alicia.

Il la regardait comme un obstacle à la liberté de ses pensées ; il était hanté par la crainte de s’être tacitement engagé à elle ; il lui semblait qu’elle avait sur lui un droit qui lui défendait de penser à une autre femme, et c’était probablement l’image de miss Audley, envisagée sous ce point de vue, qui occasionnait les sorties violentes que le jeune avocat se permettait