heures, et même en partant à dix heures, il arriverait à la gare une demi-heure trop tôt. Il était fatigué de fumer. L’influence du doux narcotique est assez agréable en elle-même, mais il faut être bien misanthrope pour ne pas souhaiter, après une demi-douzaine de pipes, la présence d’un ami qu’on puisse regarder rêveusement à travers le brouillard pâle et gris et qui puisse vous renvoyer un tendre regard en retour. Ne pensez pas que Robert Audley n’avait pas d’amis parce qu’il était souvent seul dans son paisible appartement. Le but qu’il avait poursuivi l’avait forcé à négliger ses anciennes connaissances, et c’était pour cette raison qu’il était seul. Comment aurait-il pu assister avec des amis à quelques soirées pour boire de bons vins ou à quelques agréables petits dîners arrosés avec le nonpareil, le chambertin, le pommard et le champagne ? Comment aurait-il pu rester parmi eux, et les écouter causer négligemment politique, théâtre, littérature, courses, sciences, etc., lorsqu’il était poursuivi nuit et jour par d’horribles soupçons ? Il ne le pouvait pas ! Il s’était séparé de ces hommes comme si, en vérité, il eût été un officier de la police secrète souillé de mauvais contacts et ne pouvant être le compagnon d’honnêtes gentlemen ; il s’était retiré de tous les lieux fréquentés et s’était enfermé dans sa chambre solitaire, n’ayant pour seul compagnon que le trouble habituel de son esprit, jusqu’à ce qu’il fût devenu aussi nerveux qu’une solitude continuelle puisse rendre le plus fort et le plus sage des hommes, bien qu’il pût se vanter de sa force et de sa sagesse.
Dix heures sonnèrent enfin à l’horloge de Saint-Dunstan, à celle de Saint-Clément le Danois, et à une foule d’autres dont le carillon retentit au loin ; et M. Audley, qui avait mis son chapeau et son pardessus depuis une demi-heure, sortit de chez lui en