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DE LADY AUDLEY

le thé. La plus féminine et la plus domestique de toutes les occupations communique une harmonie magique à chacun de ses mouvements, un charme à chacun de ses regards. La vapeur flottante du liquide en ébullition dans lequel elle infuse les feuilles délicieuses dont les secrets sont connus d’elle seule l’enveloppe d’un nuage de vapeurs embaumées, à travers lequel elle semble la fée de la réunion, fabriquant des philtres puissants avec la poudre à canon et le Bohéa. À la table à thé, elle règne omnipotente et inabordable. Que connaissent les hommes au mystérieux breuvage ? Lisez comment le pauvre Hazlitt fit son thé, et frissonnez à son affreuse barbarie, avec quelle maladresse les créatures disgraciées essayent d’assister la magicienne qui préside au thé ; de quel air désespéré elles saisissent la bouilloire, comme elles compromettent sans cesse les tasses fragiles, les soucoupes et les mains effilées de la prêtresse. Éloigner une femme de la table à thé, c’est lui dérober son empire légitime. Condamner deux ou trois hommes à circuler parmi vos invités pour distribuer une boisson fabriquée dans la chambre de la gouvernante de la maison, c’est réduire la plus intime et la plus amicale des cérémonies à une bienséante distribution de rations. La charmante influence des tasses à thé et des soucoupes maniées par la main d’une femme est préférable à cette tendance peu convenable d’arracher la pointe de la plume, bon gré mal gré, des mains du sexe sérieux. Figurez-vous toutes les femmes d’Angleterre élevées au niveau insigne de l’intelligence masculine ; supérieures à la crinoline ; au-dessus de la poudre de perle et de mistress Rachel Levison ; au-dessus des peines à prendre pour être jolies ; au-dessus des fatigues pour se rendre aimables ; au-dessus des tables à thé et des commérages terriblement scandaleux et quelquefois satiriques qui font même les délices d’hommes robus-