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DE LADY AUDLEY

agréable société, s’écria enfin Alicia ; son fonds de patience tant soit peu limité se trouvait presque à bout par deux ou trois essais avortés de conversation. Peut-être que la prochaine fois que vous viendrez au château vous serez assez bon pour apporter votre esprit avec vous. D’après votre apparence inanimée actuelle, je pourrais penser que vous avez laissé votre intelligence telle quelle quelque part dans le Temple. Vous n’avez jamais été un être des plus aimables ; mais depuis peu, vous êtes devenu presque insupportable. Je suppose que vous êtes amoureux, monsieur Audley, et que vous êtes occupé à penser à l’objet privilégié de vos affections. »

Il pensait à la noble figure de Clara Talboys, sublime dans son ineffable douleur ; à son langage passionné, qui résonnait encore dans ses oreilles aussi clairement que le jour où il l’entendit pour la première fois. Il la voyait encore le regarder avec ses brillants yeux noirs. Il entendait encore cette question solennelle : « Sera-ce vous qui trouverez le meurtrier de mon frère ou sera-ce moi ? » Et il était dans l’Essex, dans le petit village d’où il croyait fermement que George Talboys n’était jamais parti. Il était sur les lieux où finissait le journal de la vie de son ami, aussi soudainement que finit une histoire quand le lecteur ferme le livre. Et pouvait-il maintenant sortir de l’investigation dans laquelle il se trouvait enveloppé ? Pouvait-il s’arrêter ? avoir égard à aucune considération ? Non, mille fois non. Non, avec l’image de ce visage abattu par la douleur imprimée dans son esprit. Non, avec les accents de cet appel chaleureux qui résonnait à ses oreilles.