Aller au contenu

Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t2.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
DE LADY AUDLEY

une simple maladie du cerveau, — une maladie à laquelle tout le monde est sujet, qui est produite par certaines causes et guérie par des moyens donnés. »

Les yeux de lady Audley étaient toujours fixés sur les charbons enflammés qui brûlaient dans l’immense grille. Elle parlait comme si elle discutait un sujet sur lequel elle avait entendu de longues dissertations. Elle parlait comme si son esprit eût été à cent lieues de la pensée du neveu de son mari, et qu’il n’eût été préoccupé que de la question de la folie en elle-même.

« Pourquoi ne serait-il pas fou ? reprit milady. Il y a des personnes qui sont folles pendant des années et des années avant qu’on s’en aperçoive. Elles savent qu’elles sont folles, mais elles n’en disent rien et quelquefois leur secret meurt avec elles. Quelquefois aussi elles ont un accès, et alors elles se trahissent. Il leur arrive, par exemple, de commettre un crime. L’horrible tentation d’un moment favorable s’empare d’elles, le couteau est dans leurs mains et la victime à leur côté, sans se douter de rien. Il peut se faire alors qu’elles domptent le démon qui les poursuit sans cesse, et s’éloignent sans avoir versé le sang ; mais il peut se faire aussi qu’elles succombent à l’horrible désir qui les pousse à la violence, à l’horreur. Alors elles sont perdues. »

La voix de lady Audley devenait de plus en plus forte en traitant cette affreuse question. L’excitation dont elle était à peine remise se manifestait encore en elle ; mais elle se contint et parla d’un ton plus calme quand elle reprit la conversation :

« Robert Audley est fou, dit-elle d’un ton décisif. Quel est le diagnostic le plus frappant de la folie ? quel est le premier signe de l’aliénation mentale ? C’est la stagnation de l’esprit ; son courant perpétuel est interrompu, et la faculté de penser disparaît. De même que les eaux d’un marais se putréfient par suite de leur