Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
107
LES OISEAUX DE PROIE

conduisant au pont de Westminster n’étaient déjà plus que des points jaunâtres dans le brouillard de l’après-midi.

Le capitaine passa sur sa figure son mouchoir de soie avec un geste d’impatience lorsque Diana entra dans la chambre.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-il d’un ton maussade sans la regarder.

Il ne la reconnut qu’un moment après : à dire la vraie, la triste vérité, il ne se souciait d’elle en aucune façon. Son mariage avait été la seule émotion de reconnaissance qu’il eût éprouvée dans sa vie et ce sentiment même n’avait pas été exempt d’un certain égoïsme ; mais il ne s’était nullement attendu à ce que ce sacrifice entraînerait un autre sacrifice, celui d’avoir la charge d’une fille dont il n’avait aucun besoin : il en voulait à la Fortune de lui avoir mis ce fardeau sur les bras.

« Si vous aviez été un garçon, j’aurais pu vous rendre utile à quelque chose, dit le capitaine à sa fille, le jour de son retour, quand il se trouva, le soir, seul avec elle ; mais, que diable puis-je faire d’une fille avec la vie incertaine que je mène ? Cependant, puisque cette vieille haridelle vous a renvoyée, il faut que vous vous tiriez d’affaire le mieux que vous pourrez, » dit-il en manière de conclusion, avec un soupir de mécontentement.

À partir de ce moment, Diana avait habité l’antre des loups, et chaque jour lui avait apporté une nouvelle leçon de fourberie et de mensonge. Il est des hommes, même parmi les méchants, qui auraient tenu à cacher à leur unique enfant le secret de leurs bassesses et de leurs artifices ; mais Paget, qui se considérait comme une victime de l’ingratitude des hommes, regardait ses