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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome II.djvu/211

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LES OISEAUX DE PROIE

pour peu qu’ils aient la plume alerte et facile, trouvent facilement, de nos jours, à se tirer d’affaire.

Valentin n’avait pas des aspirations démesurées. Il ne se croyait ni Milton, ni Shakespeare, ni Byron. Il avait vécu au milieu de gens qui faisaient de la littérature un commerce en même temps qu’un art, et quel art n’est pas plus ou moins du commerce ? Il connaissait l’état du marché ; il savait quelle sorte de marchandise avait le plus de chance d’écoulement.

L’amour donnait des ailes à la plume du jeune débutant. Il est probable qu’en explorant les rayons de la bibliothèque il avait conservé quelque chose du flibustier, prenant son bien partout où il le trouvait ; mais Molière en personne n’a-t-il pas franchement avoué qu’il faisait de même ? Haukehurst écrivait sur tout et à propos de tout. « Son cerveau doit être un gigantesque magasin de documents, » pensait le respectable lecteur.

Ces ouvrages, faciles et amusants, lui procuraient tous les mois de la part des propriétaires de plusieurs revues périodiques des chèques dont le montant paraissait devoir s’élever bientôt au revenu que le pauvre garçon avait rêvé comme le dernier mot de la fortune dans les landes du comté d’York. Il avait demandé au ciel de lui accorder sa Charlotte et trois cents livres par an, et il avait l’une et les autres !

Tout cela n’était-il pas trop de bonheur pour cet homme qui avait longtemps marché dans les sentiers du mal ? N’était-ce pas un jeu cruel de la destinée de faire entrevoir au pauvre voyageur indigne les lueurs d’un paradis dont les portes ne s’ouvriraient jamais pour lui ?

Telle était la question que s’adressait quelquefois Valentin ; ce doute était l’ombre qui, de temps à autre, élevait un sombre nuage entre lui et le soleil.