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LES OISEAUX DE PROIE

demande pas de reconnaissance. Les cinq mille livres sont à vous, et je suis satisfait de voir que vous trouviez cette somme suffisante. »

Mlle Halliday ne fut pas du tout émerveillée de l’idée d’avoir subitement en sa possession cinq mille livres : elle fut beaucoup plus impressionnée par le nouvel aspect que donnait au caractère de Sheldon sa conduite de ce jour. Ses pensées, constantes sur un point, autant que l’aiguille vers le pôle, se reportèrent vers son amant : elle se mit à penser à l’influence que cette fortune pourrait avoir sur ses projets d’avenir. Il pourrait aborder le barreau, travailler, étudier dans les beaux appartements du Temple avec leurs grandes croisées donnant sur la Tamise, et lire le soir des livres de loi, dans le cottage, pendant un petit nombre de délicieuses années, après lesquelles il ne pouvait manquer de devenir lord Chancelier d’Angleterre. Qu’il pût dévouer à ses concitoyens, dans une simple cour de justice, une intelligence et un génie comme les siens et ne pas s’asseoir, en définitive, sur le sac de laine, était une éventualité que ne pouvait pas admettre Mlle Halliday. Ah ! que ne pourrait-on pas acheter pour lui avec cinq mille livres ! Le cottage se transformait en château ; la petite armoire aux livres était remplacée par une bibliothèque que celle de lord Brougham pouvait seule égaler ; un noble coursier attendait à la porte vitrée du vestibule pour transporter Mme Haukehurst à Temple Bar. Tout cela avant que l’aiguille aux minutes de la petite pendule de Sheldon eût passé d’un chiffre à un autre, si grande était l’aptitude de la pauvre enfant à construire des châteaux en l’air.

« Dois-je parler à maman de notre conversation ? demanda-t-elle après un moment.