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LES OISEAUX DE PROIE

philosophie pour se soutenir dans cette crise. Le sentiment de bonheur qu’il éprouvait dépassait tout ce que ses rêves avaient pu lui promettre ; mais il n’avait pas une confiance illimitée dans la durée de ce bonheur.

Sheldon arriverait à connaître la position de Charlotte, il amènerait certainement son frère à lui conter l’histoire de ces recherches dans lesquelles Valentin avait été si activement employé, et alors… qu’arriverait-il ? Hélas ! sur ce point une perspective insondable d’inquiétudes et de dangers lui apparaissait.

L’agent de change ne pourrait-il pas, en homme positif qu’il était, envisager la question à un point de vue pratique et vil, considérer Valentin comme un faiseur qui avait spéculé sur le secret qu’il possédait pour épouser une femme riche ? Ne le dirait-il pas à Charlotte, en présentant son amant sous le jour le plus odieux ? Elle ne croirait pas à une pareille bassesse, sa foi n’en serait pas altérée, ni son amour amoindri ; mais il était douloureux de penser que ses oreilles seraient souillées, que son cœur serait inquiété par la seule supposition d’une telle infamie.

Ce fut pendant la durée du sermon de Noël que ces réflexions s’imposèrent à l’esprit de Valentin. Il était assis à côté de sa bien-aimée, il avait le plaisir de pouvoir contempler son radieux visage, ses lèvres roses entr’ouvertes par l’attention, pendant qu’elle élevait pieusement ses regards vers son pasteur. En sortant de l’église, on revint à pied à La Pelouse. Toute pensée d’inquiétude ou de doute disparut de l’esprit de Valentin : la jolie main gantée de sa Charlotte reposait sur son bras ; le suprême privilège de porter une délicate ombrelle bleue et un livre de messe, recouvert en ivoire, lui avait été accordé. Il était fier comme un dieu de